CÉLINE (Louis Ferdinand)

[ENTRETIEN INÉDIT]

Entretien entre Louis Ferdinand Céline et Roger Mauge dont seule une petite partie est parue dans le Paris-Match de septembre 1960 sous le titre "Céline le pestiféré ne parle plus qu'avec Coco". La plus grande part de l'échange fut cependant coupée et les propos de l'écrivain édulcorés en vue de la publication. Le texte est donc en très grande partie inédit. 

Tapuscrit de 19 pages avec des corrections manuscrites au crayon bleu, (de la main de Roger Mauge?). 

Il s'agit probablement de la dernière interview de l'écrivain, quelques semaines avant sa mort. Il s'entretient avec Roger Mauge, alors grand reporter pour Paris-Match, venu le rencontrer à l'occasion de la parution de son roman "Nord". La  rencontre se déroule dans sa maison de Meudon, au milieu de ses chiens et de son perroquet. Au cours d'une longue conversation à bâtons rompus, les deux hommes évoquent la littérature, le style, le journalisme, la guerre et  le sexe. L'écrivain, s'y montre tel qu'en lui-même : à la fois disert , provocant et cabotin. 

Nord ? C'est le roman du chaos : " On voit pas souvent un chaos social. Tout est renversé, n'est-ce pas. Il y a une curieuse façon de passer dans les coulisses pour voir. Alors on passe dans les coulisses et on voit que tout fout le camp, que chacun fait "kaput", se casse la gueule. Bon, alors ça fait des imbroglios. Alors, mon Dieu, ça fait une petite chance d'intéresser des gens mais ça les intéresse pas beaucoup. Ils continuent à s'intéresser à l'histoire de la buraliste ".

Évoquant les oeuvres et les auteurs qu'il admire, qu'il "fréquente beaucoup", Sophocle, Euripide et Eschyle, Voltaire dont il cite les propos sur La Fontaine, il raille au passage quelques grands noms de la littérature  :  "Anatole France ? C'est gentil, c'est très travaillé, c'est pas mal du tout, c'est joli mais je dis : et après?". Balzac " C'est quand même assez médiocre". 

Quand à la préoccupation de l'argent, l'un des nombreuses obsessions de l'écrivain, elle n'est jamais très loin de la littérature. Les éditeurs? "Des maquereaux". Mi-provocant, mi-sérieux, il confie d'ailleurs avoir un rêve "Ce serait d'avoir les deux Nobel, celui de la paix et celui de la littérature, cela me sortirait de l'emmerdement".

Un peu plus avant dans l'entretien, les deux hommes abordent la guerre, Hitler et le nazisme. Fait très rare, Mauge interroge l'écrivain sur les camps de concentration. Une question que Céline balaye en affirmant que si le nazisme s'était maintenu, les camps auraient fini par disparaître. 

Pour David Alliot, spécialiste de l'écrivain, ce document est "unique en son genre".  "La comparaison entre l'interview originale de Céline et l'article publié dans Paris Match est éloquente. Les deux versions sont très différentes. Le reportage publié n'est pas infidèle aux propos de Céline, mais il ne donne pas une idée juste de l'homme qui les a tenus ni de ce qu'il a dit. C'est une version très édulcorée de l'entretien, beaucoup plus légère et policée". "Pour la première fois, voilà un entretien brut de décoffage. Cette version primitive inédite donne à voir le vrai Céline. Il est théâtral, ironique, obsessionel, logorrhéique. Son phrasé est décousu, pleins de coqs à l'âne. Il rassasse et parle très librement. On reconnaît aussi sa désinvolture : quinze ans après les faits, il parle de Sigmaringen sur le même ton que s'il évoquait Dysneyland". Le Figaro littéraire, 20 avril 2023. 

 

 

 

 

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